La miniature et l’enluminure partie 2

Les techniques de l’enluminure au Moyen Âge et à la Renaissance

La grande variété de savoir-faire à maîtriser pour la confection d’un manuscrit enluminé mena rapidement les artistes et artisans à se spécialiser dans une discipline particulière. Différentes personnes prenaient en charge les différentes étapes : préparation du parchemin, des encres, broyage des pigments, dorure, polissage, composition et esquisse des figures, dessin des ornements et lettrines, peinture (une couleur après l’autre), etc.

Lors de la calligraphie du texte, le scribe ménageait la place pour les illustrations et en renseignait le sujet et la forme par des notes en marge. Quand le texte était complet, le dessin était soigneusement réalisé par le maître d’atelier, dans l’espace réservé à cet effet et dans le respect des consignes du scribe. La première étape de la décoration était la dorure, puis le travail de peinture proprement dit commençait, par l’encrage des contours du croquis et l’application des couleurs de base. Ensuite, les ombres et les tons foncés étaient ajoutés, suivis par les rehauts de lumière et les tons clairs qui venaient compléter le modelé.

Il existe des preuves que les dessins étaient reportés d’une copie sur l’autre en les décalquant à l’aide d’une feuille translucide. Ils pouvaient aussi être dupliqués par la méthode du poncif : les esquisses des base étaient soulignées de petits trous suivant le motif, puis un sachet de pigment en poudre était doucement tamponné sur la surface. Cette poudre traversait les petits trous pour se déposer sur le support et reporter les contours du dessin en pointillés. Les croquis reproduits pouvaient ainsi être passés à l’encre avant de recevoir la couleur. Certaines illustrations ou lettrines étaient simplement dessinées au trait coloré, particulièrement durant les périodes carolingienne et romane ou dans certains livres scientifiques ou pratiques, mais la plupart des décors étaient conçus pour être coloriés ou enluminés.

Un manuscrit cistercien du 12ème siècle aux lettrines bicolores.

A strictement parler, un manuscrit « enluminé » comporte de l’or ou de l’argent, qui reflète la lumière. Un ouvrage richement orné mais seulement colorié, sans dorure ou argenture, n’est au sens strict pas « enluminé ». Les membres de l’ordre des Cisterciens étaient par exemple autorisés à décorer leurs manuscrits mais pas à les enluminer à la feuille d’or, ce matériau étant considéré comme frivole et inapproprié à leur mode de vie austère. L’enluminure à l’or remonte à l’Antiquité mais est particulièrement fréquente au Moyen Âge tardif. Des manuscrits comme les Livres d’Heures étaient quasiment toujours enluminés d’or. Lorsque de la feuille d’or était utilisée dans une miniature, la dorure constituait la première étape de la décoration, avant la mise en couleur. Cela pour deux raisons : la première est que la feuille d’or pourrait adhérer à tout pigment déposé avant elle, ce qui détruirait le dessin ; la seconde est l’étape du « brunissage » ou polissage du métal, opération vigoureuse qui pourrait endommager les couches de couleur.

Crucifixion, inachevée, avec indications pour l’enlumineur, 14ème siècle.

Au début de la décoration d’un codex du Moyen Âge ou de la Renaissance, les feuilles du livre pouvaient être encore volantes mais la calligraphie du texte lui-même était toujours finalisée. L’enlumineur travaillait dans les espaces ménagés à cet effet par le scribe. C’est donc ce dernier qui déterminait à l’avance le sujet, l’emplacement et même le format des différentes ornementations. Le scribe laissait souvent des instructions pour les enlumineurs. Dans l’emplacement laissé pour une lettrine, ou tout à côté, une note indiquait généralement quelle lettre devait être dessinée à cet endroit. Parfois, comme dans les manuscrits Cisterciens du 13ème siècle qui utilisaient une couleur unique pour les initiales, un petit point de peinture était apposé pour indiquer la teinte exacte à utiliser. Le nom des couleurs pouvait aussi être indiqué dans la marge. Cette pratique était particulièrement développée dans les codex anglais et français des 12ème et 13ème siècles.

Encyclopédie Omne Bonum, Angleterre 14ème siècle.

L’enlumineur débutait son travail à la pointe d’argent ou au graphite. Quand ce croquis préparatoire était terminé, il était repassé à l’encre. On peut voir ces dessins au trait dans un grand nombre de manuscrits inachevés. Ce sont souvent des motifs complexes qui n’ont rien à voir avec des esquisses rapides, mais ils n’étaient pas considérés à l’époque comme des illustrations terminées. Après le 14ème siècle, le motif était parfois transféré sur la page à partir d’un autre ouvrage ou d’un dessin précédent par la méthode du poncif. De temps à autres, des anciennes miniatures étaient même découpées pour être collées dans un nouveau manuscrit. On trouve, dans des manuscrits allemands de la fin du 15ème siècle, des collages d’impressions ou de gravures sur bois coloriées ensuite à la main.

Histoire de Merlin, enluminée par Jean Colombe, 15ème siècle.

Quand le croquis était terminé, le parchemin était couvert d’une préparation à la colle animale. Cet apprêt était sparfois coloré aux encres ou aux pigments bleu, vert, jaune brunâtre ou rose, afin de créer une surface sur laquelle l’or et les couleurs vives seraient mises en valeur par rapport au fond. La même technique était employée sur papier, support fréquent à partir du 13ème siècle, parfois utilisé en même temps que le parchemin. Dans le cas de certains manuscrits précoces du 6ème siècle (les « codex pourpres »), le parchemin lui-même était teint puis calligraphié et illustré en or et argent. Comme nous l’avons déjà mentionné, pendant le haut Moyen Âge, les miniatures étaient fréquemment exécutées sur des feuillets volants puis insérées dans les livres. Ce fut le cas pour de nombreux Livres d’Heures. Un avantage de cette méthode est que la préparation particulièrement raffinée du parchemin destiné à porter un dessin pouvait alors être limitée aux seules pages illustrées. Les pages étaient à cet effet frottées de pumice (poudre de ponce volcanique) ou de craie, pour les dégraisser et en diminuer la porosité.

Page inachevée, déjà dorée mais non peinte. Winchester Bible, 12ème siècle.

L’étape suivante, la dorure, était donc exécutée avant la mise en couleur. L’or était appliqué en couche extrêmement fine sur la surface préparée spécialement. La peinture constituait la dernière étape, et la plus importante de toutes. Le pigment en poudre était mélangé à un liant qui collait les particules de couleur entre elles et sur le support. Jusqu’au 14ème siècle, le liant le plus courant était le blanc d’œuf, ou plus exactement le glaire déposé après repos du blanc d’œuf battu. C’était un médium idéal pour l’enluminure : liquide et facile à utiliser. Il réduisait malheureusement l’éclat et la saturation des couleurs et, une fois sec, était donc parfois verni avec du miel. À partir du 14ème il fut remplacé par la gomme arabique. Ses avantages comportaient celui de pouvoir être appliquée en couche très fine, qui permet des coloris transparents et saturés. Les deux types de liants étaient parfois utilisés simultanément, et ils étaient parfois même mélangés à d’autres produits comme le jaune d’œuf, le sucre ou le cérumen.

Enlumineur au travail. Roman de la Rose, 14ème siècle.

La technique de mise en couleur était semblable à celle de la tempera : contemplative et lente, faite de traits de pinceaux précis et méticuleux, créant des formes bien définies et des zones de couleur homogènes. La peinture était appliquée en fine couches de lavis et les modelés exécutés en camaïeux de tons clairs ou foncés. L’usage de très petits pinceaux et de peinture bien fluide était indispensable à l’exécution de motifs très fins et de miniatures minutieusement détaillées. Lorsque l’ouvrage n’était pas encore relié, les artistes pouvaient travailler sur plusieurs feuilles simultanément et préparer les couleurs pour plus d’une illustration.

Le processus de décoration d’un manuscrit était très long et très onéreux. Par conséquence, les ouvrages enluminés étaient des objets luxueux réservés à une riche clientèle. Bien que les premiers livres imprimés aient été fabriqués à la ressemblance des manuscrits et coloriés à la main, l’art raffiné de l’enluminure disparut progressivement au cours du 16ème siècle.

(texte librement traduit et adapté depuis http://web.ceu.hu)

• Voir aussi : Partie 1 – Histoire du manuscrit enluminé

• En vidéo :

• A venir : partie 3 : outils et matériaux de l’enluminure.

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