C’est une détrempe. Ce mot vient du latin temperare : délayer.

On appelle tempera les détrempes en émulsions naturelles (de type huile dans eau ou eau dans huile).

L’œuf est une émulsion maigre. On peut modifier ses caractéristiques, selon les recettes, en agissant sur côté huileux ou aqueux (tempera maigre/tempera grasse). L’huile du jaune d’œuf ne s’évapore pas mais s’oxyde. Après séchage complet, la peinture au jaune d’œuf est insoluble dans l’eau, l’essence ou l’alcool. C’est un film irréversible et stable.

Cette technique a connu son apogée au Moyen-Âge et au début de la Renaissance. Mais on en trouve mention dès le 1er siècle après JC sous la plume de Pline. Les premiers exemples qui nous sont parvenus sont les portraits sur bois de momies appelés « portraits du Fayoum » et datent de l’Egypte gréco-romaine, soit entre le 1er et le 4e siècle. Ces peintures sont réalisées avec de l’encaustique pour un certain nombre d’entre elles, alors que d’autres sont bel et bien des tempera à l’œuf. Les inconvénients de ce medium (conservation limitée à un jour, film relativement cassant) auraient fait que petit à petit, il semble que les peintres ont ajouté de plus en plus d’huile siccative au mélange jusqu’à disparition totale de l’œuf dans les recettes. Cette théorie n’est pas vérifiée. Ce qui est certain c’est que la tempera à l’œuf fut détrônée par la peinture à l’huile.Au 15e siècle, les deux techniques coexistent toujours : Botticelli en Italie travaille à la tempera alors que dans le Nord, Van Eyck utilise l’huile.

La tempera est pourtant encore utilisée de nos jours. C’est le medium de prédilection pour les icônes orthodoxes, en partie pour des raisons théologiques : l’œuf représente la Sainte-Trinité (blanc/jaune/coquille) ; préparer tous les jours son medium avant de travailler est considéré comme une méditation et une prière ; le travail du foncé au clair rappelle les mots du Christ « Je suis la lumière du Monde ».

En art profane, on trouve aujourd’hui encore des artistes qui privilégient la tempera à l’oeuf, dans des styles très variés allant de l’hyperréalisme à l’abstraction. On citera Rothko et De Kooning qui émulsifient leur peinture à l’huile avec du jaune d’œuf. On peut aussi admirer la technique impeccable de Andrew Wyeth, Fred Wessel, Patricia Lynch ou Koo Schadler.

Pour des exemples contemporains, je vous recommande de visiter le site eggtempera.com (en anglais).

Quelques notions techniques

Volumes utiles (approximatifs!) :

1 jaune d’œuf = 15 ml / 30 gr / 1 cuiller à soupe

1 blanc = 40 ml / 20 gr / 2 cuillers à soupe

1 œuf entier = 60 ml / 50 gr / 4 cuillers à soupe

La peinture au jaune d’œuf offre la possibilité de superposer les couches sans se réactiver (sur couche sèche), contrairement à la gouache et à l’aquarelle, mais se prête plutôt mal au dégradé et il est malaisé de travailler dans le frais. Contrairement à l’huile, cette peinture fluide n’est pas adaptée au travail en pâte (apparition de craquelures). Elle permet de beaux jeux de transparences en jouant sur le rapport de dilution pigment/liant, et les glacis sont possibles.

Les effets de volume et de modelé sont difficiles à obtenir en dégradés, on privilégie généralement les mélanges optiques (techniques de hachures, coups de pinceaux ou sous-couches).

Une technique très utilisée de sous-couche est celle du verdaccio (mélange de terre verte) sous les carnations (voir le travail de Fred Wessel par exemple).

Les supports seront enduits de préparations maigres (œuf, colle, voire acrylique). On privilégie les supports rigides ou semi-rigides.

Le nettoyage des outils se fait à l’eau chaude et au savon.

Quelques recettes

Il existe une grande quantité de recettes, qui utilisent tout ou partie de l’œuf. En voici quelques-unes : à chacun de faire ses propres tests pour trouver le mélange idéal.

  • A l’œuf entier : casser et enlever le germe et la peau. Secouer dans un bocal et allonger à l’eau (jusqu’à une fois le volume selon la fluidité désirée).
  • Au jaune d’œuf seul (composition : 50% eau, 30% huile + albumine) : casser et séparer le jaune du blanc. Enlever la membrane et le germe. Allonger à l’eau (jusqu’à une fois le volume selon la fluidité désirée). Certaines recettes conseillent l’adjonction de vinaigre (fluidifiant, antiseptique) mais attention : son acidité peut influencer certains pigments comme le bleu outremer.
  • Au blanc seul (composition : 85% eau, traces d’huile + 12% albumine) : il faut le fluidifier avant (en le battant ou à l’éponge). On utilise le liquide aqueux qui se dépose. Il est de bon emploi en dorure, mais c’est un liant assez médiocre pour la peinture. Il constitue un bon vernis (voir ci-dessous).

La finition

Vernir une tempera à l’œuf n’est pas indispensable, et dans tous les cas il faut attendre plusieurs semaines (idéalement entre 3 et 6 mois) pour que la peinture soit polymérisée (sauf dans le cas du vernis au blanc d’œuf). Ensuite, on a le choix entre différentes méthodes :

  • Vernis au blanc d’œuf (au moins un mois après achèvement du panneau) : battre les blancs en neige. Y ajouter environ 1 volume d’eau. Couvrir et laisser reposer une nuit au frais. Le vernis est le liquide clair déposé au fond du pot. Passer en couche fine à l’aide d’un spalter plat très doux, à peine humide (essoré). Cette couche de finition unifie les mats et les brillants de la peinture. Les reprises au jaune d’œuf sont encore possibles après vernissage, contrairement aux autres finitions.
  • Vernis traditionnel des icônes ou « olifa » : huile de lin additionnée de siccatif.
  • Vernis gomme-laque : paillettes de gomme-laque dissoutes avec 1 pour 3 dans l’alcool à 90°. Contrairement au vernis au blanc d’œuf par exemple, ce vernis convient aussi si la peinture comporte des parties dorées à la feuille.
  • Vernis acrylique synthétique (la marque Lascaux ou Liquitex font les meilleurs) : diluer le vernis à 40% d’eau et utiliser un spalter le plus souple possible. Ces vernis ont un aspect laiteux qui est normal et après quelques minutes en séchant. Passer deux couches fines croisées (laisser sécher entre les couches!). Attention, il n’y a plus de reprise possible ensuite !