Quels liants pour fabriquer sa peinture ?

Quand on décide de fabriquer ses propres peintures à partir de pigments bruts, le choix du liant est une étape essentielle : c’est lui qui transforme la poudre colorée en matière picturale. Mais tous les liants ne se valent pas, et chacun possède ses propriétés, ses exigences… et ses petits caprices !

Colle de peau, caséine, œuf, huile ou chaux : chaque recette raconte une histoire, chaque technique appelle des gestes différents. Certains liants sont issus de traditions très anciennes, d’autres ont traversé les siècles pour être toujours utilisés aujourd’hui. Entre préparation technique, rendu esthétique, compatibilité avec les supports et comportement au fil du temps, il est parfois difficile de s’y retrouver.

Dans cet article, je vous propose un tour d’horizon des liants les plus courants dans la peinture artisanale, avec leurs avantages, leurs limites, et les critères à prendre en compte pour faire le bon choix selon votre projet.

Œuf – Tempera

Technique emblématique de la peinture ancienne, la tempera à l’œuf est un liant à base de jaune d’œuf, utilisé frais. Elle offre un rendu vif et durable, idéal pour les décors sur panneaux, meubles ou encore enduits secs. Il en existe de très nombreuses variantes.

Avantages :
– Très solide et stable : elle a fait ses preuves depuis l’Antiquité
– Couleurs éclatantes, sans variation entre la pose et le séchage (contrairement à l’acrylique ou à la chaux)
– Rendu proche de l’huile dans l’intensité chromatique, mais sans solvant ni jaunissement
– Moins coûteux que l’acrylique : peu de matériau, juste du bon pigment et de l’œuf
– Inodore : la peinture ne provoque ni gêne ni maux de tête
– Possibilité d’un travail très fin, en glacis successifs

Inconvénients :
– Ne s’achète pas en pot ou en tube : le médium doit être préparé à la main, à partir de pigments en poudre
– Ne se conserve pas : il faut le fabriquer en petite quantité au fur et à mesure
– Ne permet pas le travail en épaisseur ou en empâtement : la tempera est un médium de transparence, par couches fines
– Peu adaptée aux fonds ou à l’apprêt : elle est réservée à la couche picturale


Chaux

Un liant minéral ancestral, très présent dans la tradition murale, en fresque comme en badigeon. Son comportement particulier en fait un médium à part, avec ses contraintes… et ses atouts remarquables.

Avantages :
Liant totalement naturel et très bon marché
– Excellente compatibilité avec les supports minéraux (enduits, pierre, terre crue…)
– Aspect mat et poudré très particulier, typique des badigeons
– Permet une grande respirabilité du support
– Très stable dans le temps (pas de jaunissement, pas d’assombrissement)
– Peut être utilisée pure ou combinée à des caséines, huiles, colles… selon les recettes

Inconvénients :
– Très alcaline : attaque certains pigments sensibles (notamment les pigments organiques ou certains bleus/verts)
– Incompatible avec les supports non poreux (bois, métal, plastique, etc.)
– Temps de carbonatation long : la chaux fixe ses qualités progressivement, parfois sur plusieurs jours
– La couleur finale peut être légèrement modifiée par la carbonatation (claircissement)
– Très technique à utiliser en fresque véritable (sur enduit frais)


Colle de peau

Un liant traditionnel d’origine animale, utilisé depuis des siècles en peinture décorative, en préparation de supports, et pour les dorures. On l’obtient à partir de peaux de lapin, de poisson ou d’autres résidus collagèneux.

Avantages :
– Très économique
– Idéale pour les apprêts de fonds (préparations à la colle ou au gesso traditionnel)
– Peut aussi servir de liant à part entière pour des décors muraux légers
– Compatible avec tous les types de vernis
– Très adaptée à la restauration ou à la décoration de meubles anciens : elle respecte la réversibilité et les matériaux d’origine

Inconvénients :
– Odeur peu agréable lors de la chauffe
– Ne se conserve pas : elle doit être préparée à la demande et utilisée rapidement
– Sa préparation demande une certaine rigueur technique : la colle doit être chauffée au bain-marie sans jamais bouillir
– Si elle est surchauffée, elle perd ses propriétés adhésives et devient cassante
– Qualité variable selon les fournisseurs (à privilégier en paillettes, de bonne origine)
– Un dosage mal maîtrisé, notamment en sur-couche, peut provoquer des craquelures ou des effets de rétraction


Caséine

Liant d’origine lactée, extrait de la protéine du lait. Elle offre un bon pouvoir collant, un aspect mat velouté et un comportement stable dans le temps. On l’utilise pour les peintures murales, décoratives ou sur panneaux.

Avantages :
– Polyvalente : elle peut être utilisée pour les fonds comme pour les couches picturales
– Inodore : elle ne provoque ni gêne respiratoire, ni maux de tête
– Donne un rendu proche de l’acrylique (opacité, finesse de la couche) sans les effets secondaires : pas d’assombrissement au séchage, ni plastification
– Permet un travail relativement rapide, à l’eau, avec une très bonne adhérence

Inconvénients :
– Sa préparation peut être fastidieuse (nécessite une activation alcaline avec chaux, borax, ammoniaque, etc.)
– Ne se conserve pas : la préparation doit être utilisée dans les heures qui suivent
– Les qualités de caséine disponibles dans le commerce peuvent varier : privilégier des produits bien identifiés (caséine technique en poudre)
– Attention à la saturation : une peinture trop dosée peut provoquer des brillances indésirables


Huile

Sans doute le médium le plus emblématique des beaux-arts classiques, la peinture à l’huile est appréciée pour sa richesse, sa profondeur et sa souplesse d’usage. Elle demande en revanche un peu plus de patience et de technicité.

Avantages :
– Texture onctueuse et modulable, idéale pour les empâtements, glacis ou modelés
– Permet des effets très subtils de fondu et de transparence
– Donne une grande profondeur chromatique
– Peut se combiner avec différents médiums pour adapter le temps de séchage ou le fini
– Possibilité de retravailler la matière sur plusieurs jours

Inconvénients :
– Dégage une odeur parfois incommodante, selon les huiles et les solvants employés
– Séchage lent : demande de l’organisation et de l’anticipation dans le travail par couches
– Oblige à respecter strictement la règle du “gras sur maigre” pour éviter les craquelures à long terme
– Jaunit avec le temps, surtout à l’ombre : seul un bon éclairage limite cet effet, au détriment de la stabilité des pigments les plus fragiles
– L’entretien des outils est plus contraignant (nécessite des solvants ou savons spécifiques)

Pour aller plus loin : expérimentez vous-même ces liants

Rien ne vaut la pratique pour comprendre vraiment le comportement d’un liant sous le pinceau, sa texture, sa réaction au support, son rendu une fois sec. C’est ce que nous faisons ensemble lors des stages à l’Atelier des Pigments : tester, comparer, ajuster… et découvrir peu à peu ce que chaque matériau a à offrir.

Si vous avez envie de passer de la théorie à la pratique, je vous invite à rejoindre l’un de mes stages autour de la fabrication de peinture à partir de recettes traditionnelles et naturelles. Vous y apprendrez à préparer vous-même ces différents liants, à les adapter à vos besoins, et à peindre avec vos propres couleurs.

Toutes les infos pratiques, dates et inscriptions se trouvent ici :

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Cet article a 2 commentaires

  1. Marie

    Merci beaucoup pour votre message ! Je suis ravie que l’article vous ait intéressé. N’hésitez pas à partager vos expériences avec l’un ou l’autre de ces liants si vous en utilisez dans votre pratique — c’est toujours un plaisir d’échanger autour de ces techniques. À bientôt

  2. Catia Fabi

    Merci….article très intéressant!!!!