Comment la théorie des couleurs de Newton a influencé la peinture

Depuis des siècles, les experts en philosophie et en physique ont discuté de la nature et de l’origine de la couleur. Est-ce quelque chose qui a une existence physique ? Est-ce une propriété de la lumière ? Est-ce une perception subjective ?

C’est finalement Isaac Newton qui, au début du XVIIe siècle, a révolutionné la compréhension du phénomène physique de la couleur. Il fut celui qui introduit le concept de couleurs primaires : le bleu, le jaune et le rouge qui sont des couleurs dites pures, qu’aucun mélange pigmentaire ne peut produire.

Isaac Newton (Jean-Leon Huens, Public domain)

Les origines des théories de l’optique et de la couleur

Le champ de l’optique trouve ses origines dans la période grecque antique, avec des figures telles qu’Euclide et Ptolémée qui ont écrit sur le sujet, mais qui se concentraient souvent principalement sur la science de la vision. Au début de la période moderne, Kepler et Descartes ont apporté des contributions fondamentales au champ, avec notamment la découverte de l’inversion de l’image rétinienne (dans le premier cas) et une explication de la réfraction (dans le second cas).

Le travail de Newton a contribué à faire passer le focus de l’optique d’une analyse de la vision à une investigation de la lumière. Dans « Nouvelle théorie sur la lumière et les couleurs« , publiée dans Philosophical Transactions en 1672, Newton a présenté plusieurs expériences dans lesquelles la lumière du soleil était passée à travers un ou deux prismes pour explorer certaines de ses caractéristiques de base.

Dessin de Newton (source wikipedia)
Lumière décomposée par un prisme (source wikipedia)

La question de savoir si la lumière est un flux de particules ou une onde a continué à être pertinente au XXe siècle, lorsque la dualité onde-particule a été découverte. Dans ses expériences avec le prisme, Newton semblait toutefois chercher à explorer autre chose, à savoir ce qu’il appelle « les célèbres phénomènes de couleurs« . Les différentes expériences de Newton avec les prismes suggèrent ce qu’il appelle une « doctrine » exprimée en treize propositions consécutives. Celles-ci incluent les affirmations suivantes sur les caractéristiques des rayons de lumière : premièrement, les rayons de lumière qui émergent lorsque la lumière du soleil passe à travers un prisme présentent diverses couleurs ; deuxièmement, ces couleurs diffèrent en termes de « degrés de réfrangibilité », ce qui signifie qu’elles présentent et conservent un indice de réfraction, même lorsqu’ils sont passés à travers un second prisme ; troisièmement, ces couleurs ou rayons colorés ne sont pas des modifications de la lumière du soleil elle-même, mais sont des « propriétés originales et congénitales » de celle-ci ; et, quatrièmement, ces faits signifient que bien que la lumière du soleil ordinaire apparaisse blanche ou peut-être incolore à notre perception, elle contient en réalité de nombreuses couleurs, qui peuvent être révélées expérimentalement.

La décomposition de la lumière blanche en couleurs de base : comment Newton a utilisé un prisme pour découvrir les couleurs de base

La théorie des couleurs développée par Sir Isaac Newton à partir de 1672 a joué ainsi un rôle fondamental dans la compréhension de la nature de la lumière et de la couleur. En utilisant un prisme pour décomposer la lumière blanche en un arc-en-ciel de couleurs, Newton a décomposé le spectre lumineux en zones distinctes.

Le spectre visible (source wikipedia)

Dans la culture médiévale, l’arc-en-ciel ne comportait que cinq couleurs : rouge, jaune, vert, bleu et violet. A la suite de ses expérimentations sur la lumière diffractée, en bon mathématicien naturaliste et philosophe, Newton a déterminé sept couleurs prismatiques, ajoutant l’orange et l’indigo, parce qu’il estimait que l’harmonie des couleurs de l’arc-en-ciel devait respecter les mêmes règles que celle des sept notes de la gamme musicale majeure.

Les couleurs de base “découvertes” par Newton sont ainsi le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le bleu, l’indigo et le violet.

« Les couleurs originales ou premières sont le rouge, le jaune, le vert, le bleu et un violet-pourpre, ensemble avec l’orange, l’indigo, et une variété indéfinie de gradations intermédiaires »

Isaac Newton, « Nouvelle théorie sur la lumière et les couleurs » 1672

La théorie chromatique classique détermine donc sept couleurs spectrales, du violet au rouge, chacune d’entre elle se voyant assigner une zone précise du spectre, dont la longueur d’ondes peut être mesurée en nanomètres.

Au début du XIXe siècle, des études sur la lumière solaire révèlent la présence d’un rayonnement invisible en plus de celui qui est décomposé en couleurs par un prisme. En 1800, William Herschel a constaté que l’obscurité du côté rouge peut augmenter la température d’un thermomètre, et un an plus tard Johann Wilhelm Ritter a remarqué que le chlorure d’argent sur du papier s’assombrit plus rapidement sous l’obscurité violette que sous la lumière visible violette. En effet, au point de vue de la physique, la lumière est un rayonnement électromagnétique et les couleurs d’un prisme se poursuivent par des parties invisibles, dans les longueurs d’ondes infrarouges et ultraviolettes.

Les implications pour les peintres

Les seules couleurs reconnues comme “vraies” pendant presque trois siècles sont celles déterminées par Newton lors de sa célébrissime expérience. Cette dernière a été particulièrement importante car elle a montré que les couleurs ne sont pas un phénomène naturel, mais plutôt une propriété physique de la lumière. Auparavant, les peintres croyaient que les couleurs étaient des qualités innées des objets, mais la théorie de Newton a montré qu’elles découlent de la façon dont la lumière interagit avec ces objets.

Dans son Optique, Isaac Newton montre la possibilité de reconstituer une sensation de blanc en faisant tourner rapidement un disque peint de secteurs colorés. Ce mélange de couleur-lumière est appelé la Synthèse additive.

Depuis la Renaissance, on sait qu’en mélangeant trois pigments, un rouge, un jaune, un bleu, on peut reproduire une grande variété de couleurs. Cette façon de mélanger les couleurs en tant que matières (pigments) est appelée la Synthèse soustractive (nous reviendrons sur ce terme dans un futur article). On sait aussi qu’on ne peut pas reproduire de cette façon les tons les plus vifs. Mais rien n’empêche l’artiste d’utiliser autant de couleurs qu’il le souhaite.

En synthèse additive, la superposition de lumières des trois couleurs primaires dans des proportions adéquates donne du blanc et l’absence de lumière donne du noir.
La superposition des trois couleurs de la synthèse soustractive à la quantité maximale donne une couleur proche du noir et l’absence de couleur donne du blanc (si le support est blanc).

Même si elle concerne la lumière et pas la manière dont les pigments peuvent se combiner, la théorie des couleurs de Newton a eu un impact significatif sur la façon dont les peintres ont pensé à la couleur et ont utilisé des techniques de mélange de couleurs. La théorie de Newton les ainsi a incités à expérimenter de manière systématique à partir des associations de couleurs de base pour créer de nouvelles nuances.

Ces expérimentations utilisent des couleurs dites primaires – rouge, jaune et bleu – pour créer des couleurs “secondaires”, orange, vert et violet, et des couleurs “tertiaires” en assemblant les couleurs secondaires entre elles. Cette technique de mélange de couleurs de base permet aux artistes de créer des nuances riches et variées, et de reproduire toujours plus fidèlement les couleurs de la nature.

En réalité, en peinture comme en imprimerie et en-dehors d’une nécessité de normalisation, on utilise autant de couleurs que nécessaire pour réaliser la gamme de teintes nécessaire, par mélange de matières colorées en proportions variables. Dans une palette minimale mais utilisable, il faut au moins un bleu (tirant en général sur le vert), un jaune et un rouge (tirant en général sur le pourpre comme le carmin), choisis selon le rendu souhaité. Par souci de différenciation avec les “vraies” primaires de la physique, on peut les nommer “couleurs élémentaires”. Le mélange des trois couleurs élémentaires donne une couleur proche du noir et l’absence de couleur donne du blanc (si le support est blanc). Elles font partie d’une technique très intéressante pour les artistes, la “palette limitée”, que nous étudierons dans de prochains articles et vidéos.

Quelques influences de théorie des couleurs de Newton dans la peinture moderne

Les impressionnistes se caractérisent par l’utilisation des couleurs primaires telles que le rouge, le bleu et le jaune, ainsi que de leurs complémentaires, l’orange, le violet et le vert. Les nuances sont saturées et même les ombres sont représentées par des couleurs vives. C’est la combinaison de ces couleurs qui crée l’effet de modelé, et l’image se compose dans l’esprit de l’observateur.

Les peintres pointillistes utilisent la technique de la division des couleurs et du mélange optique, qui consiste à placer des points de couleurs pures pour créer toute une gamme de couleurs lorsque les points sont vus de loin. Cela permet de créer des couleurs plus riches et plus saturées que si les couleurs étaient mélangées sur la palette. Les peintres pointillistes comme Georges Seurat et Paul Signac ont utilisé cette technique pour créer des tableaux avec des détails extrêmement fins et une grande luminosité.

Paul Signac, Le Pin de Bertaud, 1900 (domaine public)

Parmi les artistes les plus importants ayant travaillé avec les couleurs primaires, Piet Mondriaan est certainement l’un des plus marquants. Né aux Pays-Bas en 1872, il est surtout connu pour ses œuvres composées de lignes noires perpendiculaires, dans lesquelles il utilise les trois couleurs primaires (rouge, bleu et jaune), ainsi que le noir et le blanc.

Piet Mondriaan, Composition en rouge, jaune, bleu et noir, 1921 Domaine public

Pour approfondir le sujet :

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