Guide complet des huiles siccatives pour artistes
L’huile est un ingrédient indispensable à de nombreuses recettes de peinture. Et pas seulement dans la traditionnelle peinture à l’huile. On la retrouve aussi dans des lasures, des vernis, des encres, comme additif dans les mélanges à la chaux et dans la fantastique tempera grassa. C’est dire si le choix d’une huile siccative adaptée est crucial pour obtenir un résultat durable et de qualité.

Comment l’huile sèche-t-elle dans la peinture ?
Les huiles ne s’évaporent pas comme l’eau. Elles durcissent en s’oxydant, c’est-à-dire en empruntant de l’oxygène à l’air ambiant. Ce processus a plusieurs implications pratiques :
- il faut éviter la formation d’une peau isolante à la surface de la pâte picturale,
- il est donc essentiel de respecter les dosages si l’on utilise un siccatif,
- et il est tout aussi primordial d’appliquer la fameuse règle du gras sur maigre (qui effraie beaucoup de novices et fera l’objet d’un prochain article).
Quelles huiles utiliser en peinture ?
En théorie, n’importe quelle huile végétale pourrait servir de liant. Mais dans la pratique, l’artiste se limite à quatre grandes familles d’huiles beaux-arts. Elles présentent deux qualités essentielles :
- un pouvoir siccatif naturel suffisant pour durcir correctement,
- une stabilité colorimétrique, c’est-à-dire une tendance limitée au jaunissement avec le temps, préservant ainsi l’intensité des pigments.
Les fabricants les raffinent et les clarifient spécifiquement pour un usage artistique afin d’optimiser leurs propriétés. Les principales huiles utilisées en peinture sont :
- l’huile de noix,
- l’huile de carthame,
- l’huile d’œillette (ou de pavot),
- et bien sûr, l’huile de lin.
1. L’huile de noix

L’huile de noix sèche relativement vite et jaunit peu, ce qui explique qu’elle ait longtemps été le liant favori des maîtres anciens. Mais avant de pouvoir être utilisée en peinture, elle devait subir de longs traitements : filtration, clarification et autres procédés visant à améliorer sa siccativité, limiter son jaunissement et conserver sa fluidité
et son onctuosité.
Ces opérations, longues et coûteuses, expliquent qu’aujourd’hui l’huile de noix ait presque disparu des ateliers modernes. Ce n’est pas une question de qualité, mais avant tout d’économie.
2. L’huile de carthame
Extraite d’une plante méditerranéenne proche du chardon, l’huile de carthame est surtout connue pour ses usages alimentaires. En peinture, on la trouve en version beaux-arts, notamment chez Sennelier.

Ses qualités :
- très fluide, elle convient parfaitement aux aplats, aux détails fins et aux œuvres nécessitant une grande précision,
- peu acide, elle est réputée pour sa transparence, ce qui en fait un bon choix pour le broyage des blancs et des couleurs claires,
- son temps de séchage est légèrement plus court que celui de l’huile d’œillette,
- un peu moins siccative que l’huile de lin, elle peut être mélangée sans problème avec cette dernière.
Ses limites :
- elle est déconseillée pour les couches inférieures,
- et ne convient pas pour un travail en pâte épaisse.
3. L’huile d’œillette (huile de pavot)
L’huile d’œillette, ou huile de pavot, est extraite à partir de la graine de Papaver somniferum. Cette plante, cultivée pour ses usages médicinaux, contient de l’opium, dont dérivent codéine et morphine, mais rassurez-vous : la graine en renferme très peu et l’huile n’en contient pas du tout.
Ses avantages :
- elle ne jaunit presque pas, ce qui lui a valu d’être largement plébiscitée par les artistes, en particulier les peintres flamands,
- elle est très transparente, donc idéale pour les couleurs claires, les bleus et les blancs,
- elle est utile dans l’élaboration de médiums à peindre et de vernis,
- sa faible siccativité permet de travailler longtemps « dans le frais », ce qui est utile pour les fondus et les détails.
Ses inconvénients :
- son séchage lent laisse longtemps la surface collante, avec un risque d’accrocher poussières et impuretés,
- son film est plus fragile que celui des autres huiles, sensible à la chaleur et à la lumière,
- utilisée en excès, elle favorise craquelures et problèmes de conservation,
- elle est relativement coûteuse.
Aujourd’hui, elle est parfois remplacée par l’huile de carthame, qui offre des propriétés similaires avec un meilleur rapport qualité/prix.
4. L’huile de lin
L’huile de lin est sans doute la plus emblématique des huiles siccatives. Mentionnée dès le IIᵉ siècle, elle est extraite de la graine de lin, plante dont les tiges fibreuses fournissent aussi le matériau des toiles pour artistes.


Extraction et évolution historique
Autrefois, les graines étaient torréfiées puis broyées sous meules de pierre. Aujourd’hui, elles sont traitées à la vapeur, un procédé plus rentable mais qui donne une huile moins siccative.
À l’état brut, l’huile de lin est très peu siccative et permet difficilement aux pigments de s’y disperser. Sa couleur ambre foncé a en outre tendance à jaunir les couleurs. C’est pourquoi elle doit être transformée pour un usage artistique, soit par les fabricants, soit par les peintres eux-mêmes.
Les principales modifications sont la cuisson, la clarification (ou purification) et la polymérisation.
Recettes traditionnelles et précautions
Les processus traditionnels de cuisson et de clarification de l’huile de lin en atelier sont décrits en détail par Xavier de Langlais dans son traité La Technique de la peinture à l’huile. Il s’agit d’augmenter la siccativité de l’huile par son oxygénation à chaud. On peut procéder sur feu nu ou à l’huile bouillante, par barbotage. Cette cuisson est évidemment un procédé dangereux : l’huile et ses vapeurs étant inflammables, le risque d’incendie est réel. Certaines de ces recettes introduisent en outre divers additifs toxiques comme des sels métalliques.
Le produit appelé « huile noire » était par exemple obtenu en ajoutant de la litharge (plomb) lors de la cuisson. Son temps de séchage fortement diminué en a fait un liant largement plébiscité au xixe siècle, parfois avec des conséquences nuisibles sur les œuvres produites ; à cause de sa toxicité elle est désormais interdite en France.
Après cuisson, l’huile était décantée et clarifiée par une longue exposition au soleil. Ces transformations sont pour la plupart réalisées aujourd’hui en laboratoire par les fabricants de produits pour peintres. On trouve ainsi différentes formes et appellations :
- Huile de lin clarifiée : exposée à la lumière et à l’air, décantée, elle devient incolore et très siccative. On l’appelle aussi huile purifiée.
- Huile de lin cuite : obtenue par oxygénation à chaud, légère et visqueuse, elle donne un film dur et brillant. Elle ne doit pas être combinée à des siccatifs (elle en comporte déjà) sous peine d’accélérer le processus de vieillissement et de détérioration de la couche picturale. Réserver aux couches supérieures pour la même raison.
- Standolie : huile de lin polymérisée obtenue par cuisson sous vide, sans oxydation. Fluide, brillante, peu jaunissante et peu siccative, idéale pour les glacis et les médiums.
- L’huile de lin dite « rectifiée » est en réalité une préparation toute faite (un médium), mélange d’huile avec un auxiliaire comme l’essence de térébenthine.

Dernières astuces et conseils :
- l’huile de lin jaunit dans l’obscurité, il vaut donc mieux stocker vos flacons en plein jour,
- pour « déjaunir » une œuvre stockée à l’abri de la lumière, l’exposer quelques jours à la lumière naturelle (hors soleil direct) peut suffire du moment que le jaunissement provienne bien de l’huile et pas du vernis final,
- prudence avec les chiffons imbibés d’huile : ils peuvent s’enflammer spontanément. Faites-les sécher avant de les jeter dans une poubelle.
En résumé,
Chaque huile siccative a ses qualités et ses limites :
- Huile de noix : appréciée des anciens, mais rare aujourd’hui.
- Huile de carthame : fluide, transparente, idéale pour les blancs et les détails.
- Huile d’œillette : peu jaunissante et transparente, mais lente à sécher.
- Huile de lin : la plus polyvalente, transformée en plusieurs variantes selon les besoins.
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Huile de lin, d’œillette, de carthame ou de noix, chacune a ses avantages…
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